lundi 15 juillet 2024

Si tu voyais grand-mère

 Les mots justes de Gauvain Sers contre le retour de la haine.

Si tu voyais grand-mère
De ton ciel, tout là-haut
Ton pays qui se perd
T’en aurais des sanglots
Toi qui as combattu
Tous les marchands de haine
J’crois qu’tu serais abattue
De savoir qu’ils reviennent

Si tu voyais grand-mère
Tu comprendrais pas bien
Qu’on retourne en arrière
Et qu’on retienne rien
Toi, t’as connu l’époque
Où l’on prenait la rue
La jeunesse faisait bloc
Et chantait les Bérus

Si tu voyais grand-mère
Qu’on est fait comme des rats
Tu dirais à grand-père
Que la France de Ferrat
De Jaurès et d’Hugo
S’effiloche chaque matin
Celle qui r’vient au galop
C’est la France de Pétain

Si grand-mère tu voyais
Les commémorations
On se dit « plus jamais »
On répète « attention »
Sûr qu’on aime nos héros
Du passé, en revanche
On leur plante un couteau
Dans les urnes le dimanche

Si tu voyais grand-mère
Le mépris tout là-haut
Ils attisent la colère
Et récoltent le chaos
On pourra remercier
Jupiter et sa clique
De nous avoir flingué
Tous les services publics

Si tu voyais grand-mère
Les familles aux abois
Les ceintures qui se serrent
Pour boucler les fins d’mois
Les caddies font grise mine
On croit plus aux lendemains
Et quand tout est en ruine
Les vautours s’frottent les mains

Si tu voyais grand-mère
Les héritiers d’Vichy
Le même vocabulaire
Mais les dents ont blanchi
Ils diffusent leurs discours
Sur les plateaux partout
Et ils attendent leur tour
Au domaine de Saint-Cloud

Si tu voyais grand-mère
Qu’il y a même des fachos
Qui lèvent le bras en l’air
Et rigolent de Dachau
On a des livres d’Histoire
Des minutes de silence
Mais on perd la mémoire
Bien plus vite qu’on n’le pense

Si tu voyais grand-mère
La peur des différences
Les tâches brunes prolifèrent
Sur la carte de France
Toutes les digues se fissurent
Et peu à peu je crains
Qu’on dénonce sur les murs
L’origine du voisin

Si tu voyais grand-mère
Toutes ces femmes comme toi
Qui se lèvent et espèrent
Disposer de leurs droits
Tous les jours, on surveille
Les élans qui retombent
Faudrait pas qu’Simone Veil
Se retourne dans sa tombe

Si tu voyais grand-mère
Qu’au pays d’Jean Moulin
La résistance prospère
Mais elle perd du terrain
Il nous faut des repères
Et je comprends, ému
Pourquoi tu m’as offert
La peste de Camus

Si tu voyais grand-mère
De ton ciel, tout là-haut
Ton pays qui se perd
T’en aurais des sanglots
Toi qui as combattu
Tous les marchands de haine
J’pense à toi et ça m’tue
De savoir qu’ils reviennent

Gauvain Sers